La mort est un sujet qui a été largement exploré par les historiens. On sait ainsi,
notamment depuis les travaux d'Ariès et de Vovelle, que, dans nos sociétés
industrielles, la mort n'occupe plus la place qui était la sienne auparavant. Ce constat
s'appuie sur diverses observations relatives aux rites, aux représentations de la mort,
aux pratiques sociales qui entourent un décès. Dans cette perspective, les démographes,
qui ont plus étudié la mortalité que la mort proprement dite, peuvent apporter un
éclairage spécifique, car, si les attitudes face à la mort ont évolué, la mort
elle-même a changé.
D'abord parce que les caractéristiques individuelles du défunt ou circonstancielles
du décès sont différentes aujourd'hui de ce qu'elles étaient naguère. Les morts sont
de plus en plus vieux, sous l'effet du recul de la mortalité et du vieillissement de la
population, la répartition des causes de décès n'est plus la même, les décès ont
lieu plus souvent à l'hôpital. Mais ce qui a changé aussi, ce sont les
caractéristiques des personnes concernées directement par une mort, et en premier lieu
celles de la proche famille du défunt.
Notre communication se propose de préciser les transformations de l'expérience de la
mort liées à l'évolution de la fécondité et de la mortalité au cours des deux
derniers siècles. L'expérience de la mort sera appréhendée ici au sein de la famille
d'un individu de référence - Ego - susceptible de voir disparaître, au long de son
existence, ses grands-parents, ses parents, frères et surs, son conjoint et ses
enfants. En fonction de l'âge de cet individu de référence et en tenant compte du fait
qu'Ego est, lui aussi, mortel, on étudiera donc la survenue de la mort de ces membres de
la parenté en considérant deux situations historiques correspondant à ce qu'auraient pu
vivre des individus nés respectivement au milieu du XIXe et du XXe siècle.
Ce travail s'appuiera sur une micro-simulation effectuée à partir de la mortalité
observée dans les générations françaises nées depuis le début du XIXe siècle et
d'une estimation de la fécondité selon le rang de naissance, dans ces mêmes
générations (s'agissant des générations les plus récentes, on a évidemment utilisé
les données d'observation disponibles sur la fécondité).
Les premières approches que nous avons développées nous ont montré que l'expérience
de la mort au sein de la famille, en l'espace d'un siècle, a radicalement changé : cette
expérience est plus fréquente (en particulier on voit mourir ses grands-parents et ses
parents plus souvent), mais en même temps, devenant beaucoup plus tardive, elle a changé
de sens.