Jean-Paul Sardon
Observatoire démographique européen et Institut national détudes démographiques
France
Pour une conversion des indices de
Coale
A la suite des travaux pionniers
dAnsley Coale et de lécole de Princeton, de plus en plus nombreux sont les
auteurs détudes consacrées à la démographie historique qui ont recours aux
indices de Princeton, établis par Ansley Coale, en particulier à lindice If. Malheureusement, pour très
utiles quils soient, ces indicateurs se présentent dans une grandeur qui nest
pas très explicite pour le lecteur, ce qui limite sans doute la diffusion, dans le grand
public, des résultats obtenus et la reprise de ces derniers par des auteurs qui utilisent
dautres indices.
Cest pourquoi nous proposons,
dans cette communication, de traduire ces indices dans un autre vocabulaire, plus répandu
et accessible à tous.
Le recours aux indices de Ansley Coale,
oblige, en effet, le lecteur à retenir une nouvelle échelle de valeur, celle des
indices, qui sétage, théoriquement, de 0 à 1, mais qui, en pratique, est le plus
souvent comprise entre 0,2 et 0,5.
Cette échelle, qui na pas de
signification directe pour celui qui nest pas familier de ces indices et est
exprimé sans référence explicite à une unité de mesure précise, est une simple
proportion reflétant la part que représenteraient, dans le nombre de naissances
dune population de même structure par âge mais dont la fécondité serait celles
des Huttérites, les naissances observées dans la population étudiée.
Il sagit donc là dun
indice comparatif de fécondité, équivalent à celui, dusage courant dans
létude de la mortalité, obtenu par la méthode de la mortalité-type.
Sapplique donc à cet indice
toutes les critiques que lon peut adresser aux méthodes de standardisation
indirectes, avec toutefois ici lavantage dune fécondité de référence
invariante : celle des Huttérites.
Pour améliorer la lisibilité de
léchelle de cet indice comparatif, on peut le convertir, comme tout indice
comparatif, dans le vocabulaire de la grandeur étudiée en multipliant cet indice par la
valeur de la variable étudiée dans la population de référence.
La conversion est possible lorsque la
variable étudiée est un taux brut et elle aboutit à un taux comparatif indirect. Nous
serions dans ce cas, si nous multipliions If
par le taux brut de natalité, ou le taux global de fécondité, issu de la
population à fécondité huttérite. Mais pour des raisons de lisibilité de l'échelle,
et échapper à la critique que nous formulions précédemment, il est préférable de
tenter de convertir If
en une estimation de lindicateur conjoncturel de fécondité. Cette conversion a
limmense avantage dutiliser une unité universellement intelligible, un nombre
denfants par femme, même si souvent, du fait de la simplicité de lunité, le
concept sous-jacent à la mesure est mal compris.
Pour assurer cette conversion il faut
admettre légalité suivante :
Nobs /Nhut
= ICFobs /ICFhut
Et donc :
Avec :
Fin =
population féminine dâge i lannée
n
fin = taux de
fécondité à lâge i lannée n
hi = taux de fécondité
des Huttérites à lâge i
qui exprime le fait que le rapport de
lindicateur conjoncturel de fécondité observé dans la population à celui que
lon observerait si cette dernière avait la fécondité des Huttérites, serait
égal au rapport du nombre des naissances correspondantes. Il vient donc que :
ICFobs
= (Nobs /Nhut) * ICFhut =If /ICFhut
Ainsi la connaissance de
lindicateur de fécondité des Huttérites (ICFhut) rendrait possible
lestimation de lindicateur conjoncturel de fécondité de la population
étudiée. Lindicateur à connaître est implicitement contenu dans le calcul de If, puisquil nest
autre que la somme des taux de fécondité de la population de référence utilisés dans
le calcul des naissances attendues. Cette somme atteint 12,44 enfants par femme. En
multipliant donc If par cette valeur on obtient une estimation de
lICF dans la population étudiée.
Mais pour que légalité de
léquation de départ soit réalisée, il faut que Fi soit constant ou que hi = k * Ii.
Autrement dit, pour pouvoir procéder de manière légitime à cette conversion, il faut
que la population dâge fécond soit cylindrique ou que les distributions de taux,
observés ou huttérites soient homothétiques.
Ces conditions
sont-elles souvent rencontrées ? La première se rencontre plutôt dans les pays où
la fécondité est stable et la mortalité faible. La seconde est surtout réalisée dans
les pays qui sont au début de leur transition démographique.
Si lon fait appel au concept de génération moyenne mis en uvre par Gérard
Calot,
on remarque une grande similitude entre les formules de If et de lICF. Cette génération
est leffectif par lequel on divise le nombre dévénements pour obtenir
lindicateur conjoncturel. Dans le cas de la fécondité, cest la moyenne
pondérée des effectifs dâge fécond, les coefficients de pondération étant les
taux de fécondité observés dans cette population.
Les formules décrivant le calcul de If et celui de lICF sont donc très proches et leur similitude
apparaît encore plus nettement si lon compare [If *ICFhut] et ICFobs :
et
et donc
et
puisquelles ne diffèrent que par
le jeu des pondérations retenues. Dans le calcul de If
on substitue, en effet, la fécondité des Huttérites à celle de la population
étudiée. Ainsi la condition fondamentale nécessaire à la réalisation de
léquation de base peut se ramener à légalité des générations moyennes de la population étudiée
et de la même population soumise à la loi de fécondité huttérite.
Lindice If , qui nest en fait que
lindicateur conjoncturel donné dans une autre échelle de référence, est, comme
ce dernier, soumis aux mêmes contraintes. En particulier, il peut être extrêmement
sensible aux mouvements du calendrier des phénomènes dans les cohortes. Cela nest
peut-être pas trop gênant du fait que cet indice est, le plus souvent, utilisé pour
décrire les premières phases de la transition démographique.
Lanalyse des autres indices de
Princeton (Im, Ig, Ih) montre quils sont,
eux aussi, construits comme des indices comparatifs. Ig et Ih, sont des stricts
équivalents à If dans les domaines
de la fécondité légitime et illégitime et Im, qui compare le nombre de
naissances légitimes que lon observerait avec la fécondité huttérite à celui
que lon observerait avec la même fécondité huttérite mais dans lhypothèse
où toutes les femmes seraient, en plus, mariées à 15 ans, est léquivalent de la
part des femmes mariées dans la génération moyenne calculée en prenant les taux de
fécondité des Huttérites comme coefficients de pondération.
Les relations qui lient entre eux ces
indices,
ainsi que les formules qui leur donnent naissance, montrent que ces indices peuvent,
également, être avantageusement convertis en dautres indicateurs dusage plus
courant, composantes légitime et illégitime notamment.
Une application aux données
françaises, et la comparaison de ces estimations avec les indicateurs observés, sur une
durée certes réduite (1896-1911), ont montré une bonne adéquation, avec des écarts de
lordre de 0,07 enfant par femme, qui plaide pour une grande vraisemblance de
lévolution retracée. Pour la période contemporaine, situation sans doute la plus
défavorable puisque la fonction de fécondité actuelle est très éloignée de celle de
la population huttérite, les estimations ne sont pas mauvaises, mais saméliore
sensiblement si lon prend une fécondité de référence plus proche de la réelle,
celle de 1946 par exemple.
Ainsi
la conversion des indices de Princeton en grandeurs dusage plus courant peut rendre
plus accessibles les informations sur des périodes anciennes et permettre de reconstituer
des séries sur de plus longues périodes, mais il faut garder à lesprit que les
indicateurs ainsi obtenus ne sont que des estimations, précises si les hypothèses
sous-jacentes sont réalisées mais qui peuvent sécarter de la réalité dans le
cas contraire.
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