General information

        Jacques Vallin (INED),
        France Meslé(INED),
        Serguei Adamets (INED),
        Serhyi Pirozhkov
(National Institute of Ukrainian-Russian Relation).

" Nouvelle estimation des pertes démographiques ukrainiennes pendant les crises des années 1930 et 1940"

"A new estimation of Ukrainian losses during the 30's and 40's crises."

Résumé en français

English abstract

      

 

" Nouvelle estimation des pertes démographiques ukrainiennes pendant les crises des années 1930 et 1940"

Résumé en français

Paradoxalement, alors que le progrès sanitaire s'accélère partout en Europe, au XXe siècle, l'Ukraine semble renouer avec les grandes crises du passé. Elle est en effet l'une des républiques les plus durement touchées par les graves crises qui ont frappé l'Union soviétique : guerre civile de 1917-1920 suivie de famines en 1921-1923 (notamment en Ukraine méridionale), grande famine de 1933 après la collectivisation de l'agriculture, deuxième guerre mondiale et invasion allemande, famine de 1947, vagues successives de répressions et déportations massives.

Longtemps les catastrophes soviétiques ont été un sujet tabou, y compris pour la recherche scientifique. De 1931 à 1954 aucune statistique du mouvement de la population n'a été publiée. Les rares indicateurs globaux rendus publics, ont été retouchés, voire falsifiés. En particulier, les résultats du recensement de 1937, jugés " défectueux ", ont été rejetés et leurs auteurs déclarés " ennemis du peuple " et persécutés ; un nouveau recensement a été organisé en 1939 mais, confirmant celui de 1937, ses résultats ont été falsifiés avant d'être rendus publics.

Avec la perestroïka et la libéralisation de l'accès aux archives nombre de documents et statistiques inédits, rigoureusement cachés tant aux chercheurs qu'au public, ont été progressivement publiés. En 1989, un article de V. Tsaplin donne pour la première fois une vue statistique sur la démographie des années 1930. Un peu plus tard, un travail systématique de recherche et de publication des résultats du recensement de 1937, entrepris par des chercheurs du Goskomstat et de l'Institut d'histoire russe de l'Académie des sciences donne un nouvel éclairage, au niveau de l'URSS entière. Concernant l'Ukraine elle-même, Serhyi Piroshkov a publié en 1994 une première estimation des pertes globales des années 1930 et 1940. Cependant, aucune de ces estimations ne permet de distinguer dans les pertes de population ce qui tient aux déficits de naissances, aux soldes migratoires de ce qui relève de la surmortalité de crise.

Nous avons donc entrepris un long travail de reconstitution des facteurs respectifs des violentes fluctuations démographiques qui ont frappé l'Ukraine soviétique et, finalement, estimé l'évolution annuelle de la mortalité par sexe et âge du pays de 1926 à 1965, année où commencent les séries de données courantes.

Partant des populations recensées en 1926, 1939 et 1959, ainsi que de toutes les informations existantes sur les naissances, les décès et les migrations (enregistrements officiels, études sur le sous-enregistrement, collation d'ouvrages historiques sur les migrations spontanées ou forcées, statistique des goulags et camps de déportation, etc.), nous avons réestimé en plusieurs étapes les composantes du mouvement de la population.

Dans un premier temps, pour la période 1926-1939 comme pour la période 1939-1959, nous avons une fois de plus estimé les pertes globales en comparant une projection de la population de départ sur la base d'évolution de fécondité et de mortalité sans crise à la population recensée en fin de période. Nous avons ensuite refait une projection sur la base de la fécondité réellement observée, corrigée du sous enregistrement, pour isoler l'effet propre aux déficits de naissances. Nous avons enfin estimé les migrations par sexe et âge à partir de toutes les sources existantes pour obtenir par déduction du reliquat précédent les pertes dues à la surmortalité. À chaque étape, le résultat obtenu a été utilisé pour raffiner l'estimation précédente par itérations successives. Tout ce travail a été systématiquement conduit par sexe et génération, ce qui nous a permis d'aboutir à des estimations annuelles de population et de mortalité par sexe et année d'âge.

Pertes de la population Ukainienne (French)Cette reconstitution permet de prendre plus précisément la mesure de la gravité des crises qui ont frappé l'Ukraine dans la première moitié du XXe siècle. Ainsi, durant la terrible famine des années 1930, l'espérance de vie des hommes est tombée au niveau effarant de 7,3 ans et celle des femmes à 10,8 ans (figure 1). Avec la seconde guerre mondiale, elle n'est certes pas retombée tout à fait aussi bas, mais la période de très forte surmortalité a duré plusieurs années, notamment pour les hommes, provoquant des pertes par surmortalité encore plus grandes. Au plus fort de la catastrophe, l'espérance de vie est tout de même tombée à 14 ans pour les hommes et 21 pour les femmes.

"A new estimation of Ukrainian losses during the 30's and 40's crises."

English abstract

Paradoxically, while health progress accelerates everywhere in the XXth century Europe, Ukraine seems to revive the dramatic crises of the past. Indeed, among all the USSR Republics, this country was one of the most severely hit by the awful crises which struck the Soviet Union : 1917-1920 civil war, followed by the 1921-1923 starvation (especially in Southern Ukraine), 1933 great famine after collectivising agriculture, World War II and the German invasion, 1947 famine, successive waves of repression and massive deportations.

For a long time Soviet catastrophes have been a taboo, even for scientific research. From 1931 to 1954 no vital statistics were ever published. The scarce global indicators made available, were modified if not falsified. In particular, the results of the 1937 census, considered as "unreliable", were rejected and their authors declared " enemies of the people " and prosecuted ; a new census was organised in 1939 but, as it confirmed the previous one, its results were falsified before publication.

With the perestroïka came free access to archives and a lot of never published documents and statistics, strictly hidden from the view of researchers as well as of the public have been progressively published. In 1989, an article by V. Tsaplin gives for the first time a statistical view on the demography of the 30's. A couple of years later, a systematic work of computation and publication of 1937 census data, undertaken by researchers at Goskomstat and Russian History Institute of the Russian Academy of sciences, gives a new light at the level of the whole USSR. As far as Ukraine is concerned, Serhyi Piroshkov published in 1994 a first estimation of the global losses of the 30's and of the 40's. However, none of these estimations allow to divide the total population losses into the parts which rely on birth deficits, migration flows and crisis over-mortality.

We thus undertook a patient work of reconstitution of the different factors responsible for the huge demographic fluctuations which have struck the Soviet Ukraine and, finally, we estimated the annual changes in Ukrainian mortality rates by sex and age during the years 1926 to 1965 (since the current series begin in 1965).

Starting from the census populations of 1926, 1939, and 1959, as well as from any existing information on births, deaths, and migrations (official records, studies on under-registration, collation of historical works on spontaneous or forced migrations, goulags and deportation camps statistics, etc.), we estimated in several steps the three components of the population changes.

In a first step, for the 1926-39 period as well the 1939-59 one, we estimated again the global losses by comparing the results of the projection of the initial population on the basis of assumed fertility and mortality trends without crisis to the population registered at the next census. We then redid a projection on the basis of the observed fertility (eventually corrected for under-registration), to identify the proper effect of births losses. We finally estimated the migration flows by sex and age, from any existing sources, to infer from the previous remainder the losses attributable to crisis over-mortality. At each step, the obtained result was used to refine the previous estimation by successive iterations. All the work was systematically conducted according to sex et cohort, what made possible to produce annual estimations of population and mortality by sex and single year of age.

Ukainian population losses EnglishThis reconstruction opens up the way to better appreciation and understanding of gravity of the crises which have struck the Ukraine during the first half of the XXth century. Thus, during the great famine of the 30's, male life expectancy fell as deep as the incredible level of 7.3 years and the female one to 10.8 years (Figure 1). With World War II, it did not reach so low a level but the period of very high mortality lasted longer, especially for men, resulting in even larger total losses. At the pike of the catastrophe, however, life expectancy fell to 14 years for males and 21 years for females.