General information


         Jean-Paul Sardon

            Observatoire démographique européen et Institut national d’études démographiques – France

Pour une conversion des indices de Coale

A la suite des travaux pionniers d’Ansley Coale et de l’école de Princeton, de plus en plus nombreux sont les auteurs d’études consacrées à la démographie historique qui ont recours aux indices de Princeton, établis par Ansley Coale[1], en particulier à l’indice If. Malheureusement, pour très utiles qu’ils soient, ces indicateurs se présentent dans une grandeur qui n’est pas très explicite pour le lecteur, ce qui limite sans doute la diffusion, dans le grand public, des résultats obtenus et la reprise de ces derniers par des auteurs qui utilisent d’autres indices.

C’est pourquoi nous proposons, dans cette communication, de traduire ces indices dans un autre vocabulaire, plus répandu et accessible à tous.

Le recours aux indices de Ansley Coale, oblige, en effet, le lecteur à retenir une nouvelle échelle de valeur, celle des indices, qui s’étage, théoriquement, de 0 à 1[2], mais qui, en pratique, est le plus souvent comprise entre 0,2 et 0,5.

Cette échelle, qui n’a pas de signification directe pour celui qui n’est pas familier de ces indices et est exprimé sans référence explicite à une unité de mesure précise, est une simple proportion reflétant la part que représenteraient, dans le nombre de naissances d’une population de même structure par âge mais dont la fécondité serait celles des Huttérites, les naissances observées dans la population étudiée.

Il s’agit donc là d’un indice comparatif de fécondité, équivalent à celui, d’usage courant dans l’étude de la mortalité, obtenu par la méthode de la mortalité-type.

S’applique donc à cet indice toutes les critiques que l’on peut adresser aux méthodes de standardisation indirectes, avec toutefois ici l’avantage d’une fécondité de référence invariante : celle des Huttérites.

Pour améliorer la lisibilité de l’échelle de cet indice comparatif, on peut le convertir, comme tout indice comparatif, dans le vocabulaire de la grandeur étudiée en multipliant cet indice par la valeur de la variable étudiée dans la population de référence.

La conversion est possible lorsque la variable étudiée est un taux brut et elle aboutit à un taux comparatif indirect. Nous serions dans ce cas, si nous multipliions If par le taux brut de natalité, ou le taux global de fécondité, issu de la population à fécondité huttérite. Mais pour des raisons de lisibilité de l'échelle, et échapper à la critique que nous formulions précédemment, il est préférable de tenter de convertir If en une estimation de l’indicateur conjoncturel de fécondité. Cette conversion a l’immense avantage d’utiliser une unité universellement intelligible, un nombre d’enfants par femme, même si souvent, du fait de la simplicité de l’unité, le concept sous-jacent à la mesure est mal compris[3].

Pour assurer cette conversion il faut admettre l’égalité suivante :

Nobs /Nhut = ICFobs /ICFhut

Et donc :                        

Avec :

Fin = population féminine d’âge i l’année n

fin = taux de fécondité à l’âge i l’année n

hi = taux de fécondité des Huttérites à l’âge i

qui exprime le fait que le rapport de l’indicateur conjoncturel de fécondité observé dans la population à celui que l’on observerait si cette dernière avait la fécondité des Huttérites, serait égal au rapport du nombre des naissances correspondantes. Il vient donc que :

ICFobs = (Nobs /Nhut) * ICFhut =If /ICFhut

Ainsi la connaissance de l’indicateur de fécondité des Huttérites (ICFhut) rendrait possible l’estimation de l’indicateur conjoncturel de fécondité de la population étudiée. L’indicateur à connaître est implicitement contenu dans le calcul de If, puisqu’il n’est autre que la somme des taux de fécondité de la population de référence utilisés dans le calcul des naissances attendues. Cette somme atteint 12,44 enfants par femme. En multipliant donc If  par cette valeur on obtient une estimation de l’ICF dans la population étudiée.

Mais pour que l’égalité de l’équation de départ soit réalisée, il faut que Fi soit constant ou que hi = k * Ii. Autrement dit, pour pouvoir procéder de manière légitime à cette conversion, il faut que la population d’âge fécond soit cylindrique ou que les distributions de taux, observés ou huttérites soient homothétiques.

Ces conditions sont-elles souvent rencontrées ? La première se rencontre plutôt dans les pays où la fécondité est stable et la mortalité faible. La seconde est surtout réalisée dans les pays qui sont au début de leur transition démographique.

Si l’on fait appel au concept de génération moyenne mis en œuvre par Gérard Calot[4], on remarque une grande similitude entre les formules de If et de l’ICF. Cette génération est l’effectif par lequel on divise le nombre d’événements pour obtenir l’indicateur conjoncturel. Dans le cas de la fécondité, c’est la moyenne pondérée des effectifs d’âge fécond, les coefficients de pondération étant les taux de fécondité observés dans cette population.

Les formules décrivant le calcul de If et celui de l’ICF sont donc très proches et leur similitude apparaît encore plus nettement si l’on compare [If *ICFhut] et ICFobs :

                           et         

et donc
                                                                 et     

puisqu’elles ne diffèrent que par le jeu des pondérations retenues. Dans le calcul de If on substitue, en effet, la fécondité des Huttérites à celle de la population étudiée. Ainsi la condition fondamentale nécessaire à la réalisation de l’équation de base peut se ramener à l’égalité des générations moyennes de la population étudiée et de la même population soumise à la loi de fécondité huttérite.

L’indice If , qui n’est en fait que l’indicateur conjoncturel donné dans une autre échelle de référence, est, comme ce dernier, soumis aux mêmes contraintes. En particulier, il peut être extrêmement sensible aux mouvements du calendrier des phénomènes dans les cohortes. Cela n’est peut-être pas trop gênant du fait que cet indice est, le plus souvent, utilisé pour décrire les premières phases de la transition démographique.

L’analyse des autres indices de Princeton (Im, Ig, Ih) montre qu’ils sont, eux aussi, construits comme des indices comparatifs. Ig et Ih, sont des stricts équivalents à If dans les domaines de la fécondité légitime et illégitime et Im, qui compare le nombre de naissances légitimes que l’on observerait avec la fécondité huttérite à celui que l’on observerait avec la même fécondité huttérite mais dans l’hypothèse où toutes les femmes seraient, en plus, mariées à 15 ans, est l’équivalent de la part des femmes mariées dans la génération moyenne calculée en prenant les taux de fécondité des Huttérites comme coefficients de pondération.

Les relations qui lient entre eux ces indices[5], ainsi que les formules qui leur donnent naissance, montrent que ces indices peuvent, également, être avantageusement convertis en d’autres indicateurs d’usage plus courant, composantes légitime et illégitime notamment.

Une application aux données françaises, et la comparaison de ces estimations avec les indicateurs observés, sur une durée certes réduite (1896-1911), ont montré une bonne adéquation, avec des écarts de l’ordre de 0,07 enfant par femme, qui plaide pour une grande vraisemblance de l’évolution retracée. Pour la période contemporaine, situation sans doute la plus défavorable puisque la fonction de fécondité actuelle est très éloignée de celle de la population huttérite, les estimations ne sont pas mauvaises, mais s’améliore sensiblement si l’on prend une fécondité de référence plus proche de la réelle, celle de 1946 par exemple.

 Ainsi la conversion des indices de Princeton en grandeurs d’usage plus courant peut rendre plus accessibles les informations sur des périodes anciennes et permettre de reconstituer des séries sur de plus longues périodes, mais il faut garder à l’esprit que les indicateurs ainsi obtenus ne sont que des estimations, précises si les hypothèses sous-jacentes sont réalisées mais qui peuvent s’écarter de la réalité dans le cas contraire.

 


Notes

[1] A. Coale, « The decline of fertility in Europe from the French Revolution to world war II » in Fertility and Family Planning: A worldview,  ed. Samuel J. Behrman, Leslie Corsa and Ronald Freedman, Ann Arbor, The University of Michigan, 1969, p. 3-21

[2] En toute rigueur, l’indice pourrait dépasser l’unité si la fécondité de la population étudiée était supérieure à celle observée chez les femmes huttérites mariées.

[3] Cf. J-P Sardon, Indices de Coale, indices comparatifs, génération moyenne, indicateurs conjoncturels et composantes. Population, n° 1,1995, pp 170-176.

[4] G. Calot, « Une notion intéressante : l’effectif des générations soumises au risque. I. Présentation méthodologique », Population, 6, 1984, 947-976.

[5] If = (Ig * Im) + (Ih * (1 – Im)).